275 millions pour un mirage

Alors que la CDPQ Infra a conclu, après un travail rigoureux d’analyse et de consultations, que le projet de troisième lien entre Québec et Lévis n’est pas nécessaire, le gouvernement du Québec a toutefois annoncé qu’il injectera 275 millions de dollars dans des études préliminaires pour poursuivre ce même projet. Cette décision, soulève de profondes incompréhensions.

Les faits sont pourtant clairs. L’étude indépendante de la CDPQ, tout comme celle récemment publiée par Québec mobilité, démontrent que la majorité des déplacements dans la région se font sur une même rive — que ce soit sur la Rive-Nord ou la Rive-Sud. Les transferts inter rives représentent une part marginale des trajets quotidiens. Autrement dit : la congestion qu’on prétend résoudre par un nouveau lien autoroutier entre les deux rives n’existe que très peu. La priorité serait déjà d’améliorer l’interrégionalité des services de transport adapté par les ponts actuels; le problème ne réside pas ici dans le nombre de liens, mais dans la coordination des horaires, la comptabilité des systèmes, et la très faible interopérabilité des services.

Dans ce contexte, comment justifier l’acharnement à maintenir vivant un projet aussi coûteux, techniquement superflu et socialement contesté ? Comment expliquer que des centaines de millions de dollars soient consacrés à « étudier » une infrastructure que les données désavouent ?

Ce maintien en vie artificiel d’un projet dépassé semble motivé, non pas par l’intérêt public, mais par des considérations électoralistes et symboliques. Le troisième lien est devenu une promesse à tenir coûte que coûte, un gage adressé à une base politique régionale, et un artefact d’une vision du développement qui ne correspond plus aux réalités actuelles.

Pendant ce temps, les besoins en mobilité durable et accessible et notamment en transport adapté (recrutement et formation des chauffeurs, financement de nouvelles flottes de véhicules, déplacements entre régions…) eux, sont bien réels. Les citoyens du Québec demandent des investissements responsables, alignés sur les défis d’aujourd’hui : l’accessibilité, la sécurité, la qualité de vie. Persistons à financer un mirage, et nous perdrons non seulement des sommes colossales, mais aussi la confiance du public envers la capacité des gouvernements à prendre des décisions basées sur la raison plutôt que sur des calculs partisans.

Le Québec mérite une mobilité du XXIe siècle, qui respecte les besoins et les droits de chaque citoyen-ne à un transport sécuritaire et de qualité,  pas une vision du passé maintenue à grands frais. Il est urgent de repenser le lien social à travers la mobilité. Au lieu de projeter des infrastructures démesurées dictées par des logiques de vitesse et de volume, nous devons imaginer des réseaux de transport qui reconnectent les gens à leur territoire, à leurs communautés, à leurs besoins réels.

Une mobilité véritablement centrée sur les citoyennes et citoyens, c’est une mobilité inclusive, accessible, humaine, qui facilite l’accès aux études, aux services, à la santé, à l’emploi, aux loisirs, et ce peu importe son âge, sa condition ou son code postal. C’est surtout un choix de société que nous devons soutenir collectivement : au lieu de gaspiller plus de 9 milliards dans un lien imaginaire, choisissons d’investir dans le seul lien qui compte vraiment : le lien social !